Voilà des questions existentielles ? C'est normal, je suis le vieux sage de ce blog ;-)
Cette petite réflexion a été déclenchée par la visite que j'ai faite récemment à mon ancienne université, vénérable institution québécoise que j'ai fréquentée dans les années 1980.
J'ai eu un choc existentiel, j'ai dû constater que mon université avait été vendue à des intérêts corporatifs de tout ordre. Des pavillons au nom de différentes compagnies, des salles de cours où d'informatique au nom d'autres compagnies. Même le stade sportif avait été vendu. Je n'en revenais tout simplement pas. Mais là où je suis le plus tombé en bas de ma chaise, c'est lorsque j'ai été dîner dans la cafétéria "le nom de la corporation a été caché" et que j'ai entendu les professeurs parler des étudiants. Disons que j'avais en face de moi des professeurs de droite pour qui les étudiants devraient tout payer et payer beaucoup plus pour pouvoir étudier dans leur belle université "corporative". Je ne sais pas trop comment l'exprimer, mais disons que les étudiants étaient plus vus comme une marchandise que comme le but de l'institution.
Ok, Ok, je m'éloigne de mon sujet principal. Je peux être de gauche, vous pouvez être de droite, chacun a droit à son point de vue.
Mais tout de même, je me suis demandé ce que voulait dire aujourd'hui réussir ses études. Il semblerait que le concept ait particulièrement évolué depuis les années 80.
Il semblerait maintenant que vous étudiez pour devenir plus productif, plus efficace, plus rapide. Réussir aujourd'hui, ce serait devenir plus efficace et plus productif. Mais qu'est-ce que ça veut dire étudier de façon efficace et productive ? Méchante bonne question à laquelle peu de professeurs pourront vous répondre de façon adéquate. Pourquoi? Parce que ça parait tellement logique que ça doit nécessairement être bien et bon de viser l'efficacité et la productivité dans vos études.
Et pourtant, une chose a grandement changé depuis que j'étais étudiant dans cette université qui, jadis, défendait farouchement son indépendance. Qu'est-ce qui a changé ? Il y a de plus en plus d'étudiants qui souffrent d'épuisement professionnel: ils sont de plus en plus malades physiquement, émotivement et surtout psychologiquement. Ils souffrent de stress, d'anxiété, de dépression. Ils consomment régulièrement des stimulants doux (boissons énergétiques) et forts, mais aussi des antidépresseurs, des anxiolytiques, des drogues diverses. Beaucoup finissent par être obligés d'abandonner temporairement leurs études.
La question qui m'est venue est la suivante: comment une société peut-elle amener sa jeunesse dans ces états alors même qu'ils n'ont pas encore commencé leur vraie vie active ? En fait nous devrions plutôt nous demander pourquoi...
Mon hypothèse personnelle, c'est que beaucoup de ces étudiants ont été piégés par le mythe de la réussite du 21e siècle qui tourne autour de la productivité et de l'efficacité. Et c'est normal à notre époque: personne ne pourrait douter que de viser la réussite pour tous les élèves soit un idéal à atteindre.
C'est un peu comme l'économie qui de nos jours s'est transformée en une genre de religion. Très peu de personnes doutent que la croissance perpétuelle de l'économie soit une bonne chose pour la société. Et pourtant, tant pour les études que pour l'économie, il y a des effets secondaires. Pour l'économie, nous les voyons de plus en plus ces effets secondaires: épuisement des ressources, réchauffement climatique, écart grandissant entre les riches et les pauvres, incapacité politique à régulariser la situation, des corporations qui existent pour elles-mêmes et qui oublient le facteur humain.
Notre société a entrainé les étudiants dans cette économie de croissance et donc, de consommation perpétuelle. Je vais vous décrire un étudiant des années 1980. Cet étudiant n'avait pas de voiture. D'ailleurs les stationnements des institutions scolaires collégiales et universitaires étaient vides. Il n'y avait aucunement besoin de permis de stationnement à cette époque. Cet étudiant ne possédait pas d'ordinateur ou de téléphone cellulaire. Bon, vous allez me dire que ça n'existait pas encore. OK, mais lisez bien ceci. Un étudiant n'avait pas de carte de crédit. Vous avez bien lu. Pire que ça, un étudiant n'avait aucune chance de se voir accorder une carte de crédit par une institution bancaire. Pourquoi ? Parce qu'il ne travaillait que l'été pour subvenir à ses besoins d'étudiants et cet étudiant évitait comme la peste de travailler durant l'année scolaire. Pourquoi donc ? Et bien pour se consacrer à ses études.
De nos jours, la société a réussi à convaincre l'étudiant que sa réussite ne se limitait pas seulement à la réussite de ses études. Et non, en plus il lui faut un cellulaire avec le bon forfait, un ordinateur, une tablette, une voiture, un bel appartement et en plus il faut qu'il voyage au moins l'été et si possible durant les fêtes ou la semaine de relâche. Bon d'accord, c'est l'étudiant extrême, mais je suis certain que plusieurs se reconnaissent en partie dans ce portrait.
Et voilà le mythe de la réussite apparaitre. Pour citer Alain Caron, psychologue québécois, qui a écrit le livre "Le mythe de la réussite: le plaisir dans l'action. Quebecor (2007).": "Dès l'instant où nous plaçons notre essentiel à l'extérieur de soi, une société de consommation comme la nôtre se précipitera pour nous offrir des catalogues de biens, de produits, de services, d'idéologies ou autres, ne correspondant toutefois pas toujours à nos vrais besoins. Dès l'instant où notre référence est à l'extérieur de nous, nous achetons beaucoup plus facilement un rythme de vie qui n'est pas nécessairement le nôtre. C'est la nature du mythe de la réussite: viser l'atteinte d'objectifs extérieurs plutôt que de combler nos besoins réels. Le mythe ne veut pas nous laisser notre place dans le monde. Il veut tout simplement nous en vendre une."
Et même l'étudiant qui n'a pas été trop happé par cette économie estudiantine se retrouve quand même piégé à l'intérieur de ses études. Et oui, il doit étudier dans des domaines rentables, productifs, efficaces.
Assez de sagesse bizarre pour aujourd'hui. Ça sera le sujet du prochain article ;-)